mardi 30 mars 2010

Délocalisation

J’ai quitté la Chine le 17 janvier dernier, après dix ans et deux jours passés dans l’Empire du Milieu, à Suzhou, pour me relocaliser un peu plus au Sud, sous des cieux qui me semblent plus cléments, dans le petit royaume du Cambodge, pays de l’amok, du prâhok et des temples-montagnes des anciens rois khmers.
Dix ans de Chine… En y repensant, même si partir est pour moi un vrai bonheur, la Chine m’a tout de même apporté beaucoup, sur des plans divers.
Du point de vue linguistique d’abord : mon niveau de chinois s’est très sensiblement élevé.
Du point de vue gastronomique ensuite : même si la colère que je nourris contre l’industrie chinoise de la restauration ne s’éteint pas, j’ai découvert des saveurs, des préparations, des produits qui sont largement dignes d’intérêt.
Du point de vue personnel enfin : en même temps que mon humble personne, je libère de la coupe des autorités chinoises une épouse et un petit bout de chou qui font mon bonheur.
Des regrets, alors ? Que nenni ! Je suis content de ne plus avoir à m’indigner que de loin de la façon d’agir du Pouêt-Cot-Cot, de ne plus avoir à m’accommoder de l’impolitesse, de l’incivilité, de l’arrogance grandissante de nombreux descendants du dragon, de ne plus avoir à rechercher des solutions plus ou moins efficaces pour accéder à certains sites de la Toile.
Le Cambodge me paraît beau, ses habitants souriants, sa nourriture excellente, sa langue passionnante, son climat à mon goût...
Ne serait-ce pas « tout nouveau tout beau » me demanderez-vous peut-être ? C’est possible. Dans dix ans peut-être, je rédigerai ici un billet pour médire du petit royaume et expliquer pourquoi j’ai décidé de me relocaliser en Thaïlande ou en Papouasie-Nouvelle Guinée.
En attendant, je profite de l’instant présent, et je me dis une nouvelle fois que je n’ai pas encore envie de rentrer, pas tout de suite...

samedi 27 mars 2010

Vingt-six jours, le temps qu’il faut pour faire un père célibataire

Vingt-six jours, c’est le temps pendant lequel j’ai compris la signification exacte du proverbe chinois qui dit que, lorsque l’on trouve le temps long, on passe les journées comme s’il s’agissait d’années (度日如年 dùrì rúnián). En effet, la belle et douce Émilie nous a lâchement abandonnés, junior et moi, pour rentrer en Chine et mettre un peu d’ordre dans nos affaires avant de revenir s’installer définitivement au pays des temples montagnes, du palmier à sucre et de l’amok.
Cette absence contrainte, pour laquelle nous devons remercier la décision des autorités chinoises de ne pas accorder de visa à junior (pour les tenants et aboutissants de cette affaire, voir ici et ici), a fait de moi, à mon corps défendant, un père de famille célibataire, devant jongler entre dossiers de traduction, achats du quotidien, crèche, couches et biberons.
La perspective de passer un peu de temps en tête-à-tête avec le petit garnement plein de vie et de malice qu’est Léo m’avait à vrai dire un peu effrayée. J’avais imaginé le pire : crises de larmes incessantes, hurlements, perte de sommeil, refus de s’alimenter, yeux au bord de la cécité à force de pleurer, fugue… D’autant plus que le stratagème que nous avions imaginé de façon impromptue pour expliquer au petit Léo la raison du départ de sa très chère maman en pleine nuit (pour aller prendre son vol de 23 heures 55 pour Shanghai), était pour le moins fantaisiste : papa, en descendant une valise, avait aperçu sur le bord du fleuve un énorme serpent, que maman avait derechef décidé d’aller chasser, et si elle tardait à rentrer, c’était tout bonnement parce que ledit serpent était incroyablement rusé et déjouait tous les pièges qui lui étaient tendus.
Léo, d’ailleurs, n’a pas manqué de s’enquérir des derniers développements de la chasse au reptile lorsque, quelques jours plus tard, le visage de maman est apparu sur l’écran de l’ordinateur, par le biais du logiciel de messagerie instantanée : « 妈妈,大蛇抓到了吗? » (Maman, tu l’as attrapé le gros serpent ?), avait-il demandé d’un ton irrité. Une autre fois, me voyant peut-être un peu abattu, , il avait voulu me consoler en me rappelant que « 妈妈去抓大蛇了! » (Maman est allée attraper un gros serpent !).
Mais force a été de constater, au bout de trois ou quatre jours, qu’un enfant de cet âge peut s’habituer à tout ! Léo a en effet très vite compris que c’était désormais papa qu’il fallait appeler dans son sommeil pour avoir droit au biberon réparateur, que c’est sur ledit papa qu’il fallait compter pour le changement de couche, la préparation du cartable et le transport scolaire, et n’appelait plus maman que lorsqu’il avait un gros chagrin, essentiellement lorsque l’une de ses bêtises lui valait une claque sur les fesses.
L’absence d’Émilie a été l’occasion pour nous d’augmenter le « temps de travail » du petit : le nombre de demi-journées passées àà la crèche-maternelle française de la rue 21, Tchou-tchou , est passé de six à dix. Le marmot n’a pas bronché, et s’est en plus fait des copains et des copines parmi les enfants de l’association Pour un sourire d’enfant, qui viennent passer trois après-midi par semaine dans cet établissement.
Finies également les crises de larmes lors du lâcher du diablotin dans la cour de l’école le matin : avec un peu de réticence au début, il a finalement accepter de relâcher son étreinte sur la main paternelle, à laquelle il se cramponnait comme s’il s’agissait de la seule bouée de sauvetage disponible au milieu d’une mer déchaînée, pour me lancer un triste « Au revoir papa, à tout à l’heure... », avant de me voir tourner le dos pour enfourcher le tuk-tuk qui nous avait amenés et m’emportait pour la journée vers mes mystérieuses activités d’adulte. Les choses ont tellement bien évolué, que c’est désormais en courant qu’il passe le portail de l’école en criant un retentissant « Bonjour » à l’adresse des personnes se trouvant déjà sur le site, pour se précipiter dans la salle de classe y déposer son cartable, et que ce n’est que grâce à l’aimable insistance de ses jolies maîtresses qu’il daigne se retourner pour me gratifier d’un « au revoir » marmonné à la hâte et d’un petit signe nonchalant de la main. Il arrive même parfois qu’il faille employer la manière forte pour lui faire quitter ses maîtresses et ses copines (il préfère apparemment, et de loin, la compagnie féminine – ne lui en voulez pas, c’est visiblement une maladie héréditaire) et le faire rentrer au domicile familial.
Après moultes essais infructueux, j’ai même réussi à mettre au point la technique de shampooinage parfaite, qui permet de nettoyer sa petite tignasse sans inonder son visage et ses yeux de savon, et de lui faire accepter sans trop de difficultés la douche quotidienne.
J’ai découvert aussi avec lui les longues promenades vespérales, se tenant habituellement après le retour de l’école et la fin des émissions de TiVi 5, et le dîner, promenades à l’occasion desquelles j’exhibe fièrement le dernier avatar de ma progéniture aux yeux ébahis des habitants du quartier de Chroy Changva (ជ្រោយចង្វា), sur la rive orientale du fleuve Tonlé Sap (et non du Mékong, comme je l’ai prétendu par ignorance géographique dans des billets précédents). Cela a été l’occasion pour moi de faire un peu d’exercice physique en même temps que quelques rencontres, et d’essayer d’améliorer mon khmer en bavardant avec la petite jeune fille dans la boutique de laquelle nous nous approvisionnons en eau, en bière (pour moi) et en soda (pour le môme).
Finalement, la maman absente est rentrée au bercail hier soir. Cela a été l’occasion pour moi de réserver à Léo une suprise de taille : j’ai en effet expliqué que nous allions, en pleine nuit, admirer les gros avions à l’aéroport, si bien que le petit s’attendait à beaucoup de choses, mais pas à voir sa maman sortir de l’aéroport. Il en est d’ailleurs resté baba, incapable de gazouiller comme il le fait d’habitude, blotti contre le sein maternel, un sourire béat aux lèvres, pendant toute la durée du trajet du retour à la maison.
Quant au gros serpent, rassurez-vous : maman l’a attrapé, mais plutôt que nous le servir à dîner, elle a décidé de le laisser dans un zoo. Peut-être irons un jour lui faire une petite visite, avons-nous d’ailleurs promis au gamin.

mardi 23 mars 2010

Censure chinoise : Google jette l’éponge

On apprend hier que Google prend la décision de ne plus filtrer son contenu comme l’exigent les autorités et la loi chinoises, et de déménager son serveur de recherche à Hong-Kong…
Cette décision de Google, prématurément annoncée en début d’année, avait fait des ramous et ému nombre de medias occidentaux. Qu’en dire aujourd’hui ?
Il faut tout d’abord savoir qu’en Chine, le premier moteur de recherche Internet n’est pas Google, mais son avatar local, Baidu (www.baidu.com). Le fait que ce site soit à la botte de la propagande du Pouêt-Cot-Cot et les révélations récurrentes sur les pratiques douteuses du moteur de recherche local n’y font rien, les Chinois, par nationalisme peut-être, continuent à préférer Baidu.
Les mauvaises langues diront que Google, dont l’implantation en Chine n’est pas un succès, cherche à sortir du guépier chinois la tête haute, en redorant aussi un peu son blason après les critiques dont il a fait l’objet pour avoir livré aux autorités chinoises, conformément à la loi locale, des informations compromettantes sur des Internautes trop critiques à l’égard du régime.
Mais c’est peut-être aussi une réaction saine à l’environnement chinois qui, malgré les protestations des autorités compétentes, est en train de se détériorer lentement et sûrement. Je veux parler ici de la remise en question de la politique d’ouverture vers l’étranger. Malgré ce qu’en posent les optimistes, il me semble en effet que la Chine est en train de se refermer sur elle-même. Le régime profite du regain de nationalisme de sa population, qui n’est certes pas convaincue par un parti unique qui règne sans partage depuis plus de soixante ans, mais qui veut être fière de son pays, et qui réagit vivement aux critiques, même si elles sont parfois fondées, que l’Occident exprime envers son pays.
Pour ma part, je soutiens cette decision de Google. Il me semblerait judicieux de durcir un peu le ton envers les autorités chinoises, qui ne jouent pas franc jeu. Le fameux slogan « un pays, deux systèmes » (一国两制), qui sert à designer le régime special appliqué à Macao et à Hong-Kong, qui jouissent d’une autonomie et de libertés beaucoup plus grandes que le reste de la Chine, pourrait être facilement détourné pour s’appliquer intra muros, aux entreprises étrangères qui sont en théorie soumises aux mêmes lois que les entreprises locales : la rigueur de la loi s’applique sans fléchir aux sociétés étrangères qui apportent en Chine capitaux et savoir-faire, tandis qu’elle s’applique de façon plus « souple », dirons-nous, aux entreprises locales qui se jouent sans vergogne des dispositions légales sur le travail, entre autres.
Je viens de passer dix ans en Chine, et si j’en retiens quelque chose, c’est que, si l’on veut se faire respecter par ce pays, il faut faire preuve de fermeté. Un proverbe chinois dit que l’on a peur des forts et que l’on abuse des faibles (欺软怕硬 qī ruǎn pà yìng). Cessons donc d’êtres faibles !