samedi 7 février 2009

Nouvel an chinois 2009 au Cambodge : Jour 3, épisode 12 – Phnom-Penh – Les Khmers Rouges et la France

Ma note d’hôtel payée, je me prépare en ce matin du lundi 26 janvier, à prendre le bus pour Battambang. La veille, Edvin, le propriétaire de la Velkommen, a acheté pour moi le billet de bus. La station de bus étant à peine à une cinquantaine de mètres de la guesthouse, c’est à pied que je quitte mon logis, et que je m’enquiers, au bureau de la compagnie de bus, de l’endroit où rejoindre l’autocar. Une vingtaine de mètres plus loin, je confie ma valise à un employé de la compagnie qui la range dans le coffre à bagages du car, et je m’appuie contre une balustrade, pour fumer quelques cigarettes en observant la circulation sur le quai Sisowath et en attendant l’heure du départ.
Un Cambodgien d’une quarantaine d’années attend aussi, et comme il m’a entendu parlé khmer avec l’employé de la compagnie de bus, il engage la conversation. Il est de Siemréap, où il est chauffeur de tuk-tuk (ou de taxi, selon les circonstances), et aime faire du tourisme au Cambodge. Il est venu à Phnom-Penh en prenant la route qui passe au Nord du Tonlé Sap, et repart chez lui en empruntant la route du Sud. Il en profitera pour visiter Battambang qu’il ne connaît pas, voire pour pousser jusqu’à Pailin, s’il trouve un moyen de transport en arrivant. Il m’explique en souriant qu’il a quelques problèmes avec son épouse, qui visiblement n’apprécie pas vraiment son goût pour les voyages... et pour la bouteille, et préfèrerait le voir à Siemréap à gagner un peu plus d’argent.
Après s’être enquis de ma nationalité, il se lance immédiatement dans un petit discours d’introduction qui m’inquiète un peu, car je sens bien qu’il va vouloir se lancer sur un sujet-piège :
- Moi, tu vois, je ne connais pas grand chose, je viens de la province, et puis je ne suis jamais allé à l’étranger, et je n’ai pas fais beaucoup d’études. Mais toi qui est français et qui a beaucoup voyagé, il y a une question que je voudrais te poser, parce que, vraiment, cela m’intrigue, me dit-il.
- Euh... oui, enfin, je ne sais pas si je pourrai répondre à ta question, mais je le ferai volontiers, si je connais la réponse, lui dis-je, prudemment, en guise de réponse. Je m’attends au pire.
- Et bien voilà, je voudrais bien que tu m’expliques ceci : Pol Pot et compagnie, ils ont tous fait des études en France, tu sais ? A ton avis, qu'est-ce qu’on leur a fait en France, pourquoi sont-ils devenus des Khmers Rouges à leur retour ?
Je me doutais que la petite démonstration de modestie qu’il m’avait en servie en guise d’introduction ne valait rien qui vaille, mais là, je suis un peu pris au dépourvu. Mes neurones se mettent immédiatement à chauffer. Que répondre à cela ? Heureusement que j’ai lu un peu sur le sujet, et que je peux sans trop de difficultés rejeter la responsabilité idéologique du crime génocidaire des maoïstes khmers sur le parti communiste chinois, même si je sais bien que les pays occidentaux, dont la France, ont une part énorme de responsabilité dans l’affaire :
- Euh, oui, tu as raison, Pol Pot a étudié en France et c’est en France qu’il a été initié au communisme, je crois que c’est surtout l’influence chinoise qui a pris le dessus chez les Khmers Rouges.
- Mais vous avez de Communistes, chez vous, non ? insiste-t-il.
- Oui, oui, il y a un parti communiste en France, mais il n’a pas beaucoup de pouvoir chez nous.
- Et le régime communise n’a pas posé de problème en France ? Les communistes n’ont tué personne chez vous ?
- Non, non, nous n’avons pas eu de régime communiste, nous avons seulement un parti communiste, et les communistes français n’ont tué personne.
A son regard, je comprends qu’apparemment j’ai donné des arguments qui suffisent, car il n’insiste pas plus.
Pour continuer sur le sujet des Khmers Rouges, il m’explique tout de même :
- Tu sais, moi je crois que si les Khmers Rouges étaient restés un an de plus au pouvoir, ils auraient fini par tuer tout le monde. Ils s’entretuaient même entre eux. Il n’y aurait plus eu qu’un pays vide, plus que la terre cambodgienne, mais plus de peuple cambodgien...
Il continue en me racontant qu’à l’époque khmère rouge, il n'y avait plus rien, même plus de médicaments. Pour se soigner, les gens devaient avoir recours aux plantes, ou, pire encore, aux brûlures.
Aux brûlures ? Là, le vocabulaire me manque, j’ai un peu de mal à le comprendre, jusqu’à ce qu’il soulève la jambe de son pantelon, puis son T-shirt, pour me montrer les petites cicatrices rondes qu’il a un peu partout sur les jambes, sur le ventre, dans le dos, qui ressemblent à des brûlures de cigarettes.
Je comprends qu’il s’agit là de cicatrices laissés par la moxibustion, l’une des composantes de la médecine traditionnelle chinoise, qui consiste à faire brûler sur les points d’acupunture de petits dés d’armoise. Visiblement, il conserve un souvenir amer de cette thérapie-là.
Et je me dis qu’il serait peut-être utile qu’un jour quelqu’un étudie de près l’action de la Chine et des Chinois pendant les années 70 au Cambodge. Mais je doute que l’on puisse avoir accès aux archives du gouvernement chinois sur le sujet ! Y a-t-il des archives khmères rouges sur le sujet ?
Notre conversation est finalement interrompue par le chauffeur du bus qui klaxonne pour inviter aux voyageurs en partance pour Battambang à monter dans le car.
Je monte au premier étage pour prendre ma place sur le siège no. 1, à l’avant du car, siège à partir duquel j’ai une vue dégagée sur la route, je me visse les écouteurs de mon lecteur MP3 sur les oreilles, et je commence à somnoler vaguement en me dirigeant vers la route nationale qui va me conduire à Battambang.

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